➢ Éléments de contexte :
M. Christian Latouche, commissaire aux comptes et expert-comptable inscrit, détient, directement ou indirectement par l’intermédiaire de la société anonyme Fiducial International, 99,9% du capital de la société civile Fiducial (la société Fiducial SC), dont il est le gérant. Cette société est la société mère du groupe pluridisciplinaire Fiducial, que M. Latouche a fondé en 1970.
Parmi ce groupe, les sociétés dites Fidaudit et Fidexpertise exercent respectivement le commissariat aux comptes et l’expertise comptable. M. Latouche n’était, à titre personnel, ni titulaire ni signataire de mandat de certification de comptes.
Par ailleurs, le groupe Fiducial offre divers services aux entreprises par l’intermédiaire de ses filiales qui interviennent dans les domaines de la sécurité, de l’immobilier, de la banque, des médias, de la fourniture de service informatique et de la vente de fournitures et de mobilier de bureau.
A la suite d’un contrôle d’activité de plusieurs sociétés du groupe, en janvier 2022, Madame la Présidente du H3C saisi le Rapporteur général de faits « étant susceptibles de caractériser l’exercice d’activités commerciales incompatibles avec les fonctions de commissaire aux comptes. »
Une enquête est ouverte le même jour par le Rapporteur général, à l’issue de laquelle, en octobre 2022, une procédure de sanction est ouverte à l’encontre de Monsieur Latouche.
Il lui est notamment fait grief d’avoir, depuis janvier 2016, violé le 3ème alinéa de l’article L822-10 du code de commerce « en exerçant des activités commerciales incompatibles avec les fonctions de commissaire aux comptes, ces activités commerciales n’apparaissant pas être accessoires à la profession d’expert-comptable, au sens de l’article 22 al. 3 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 sept. 1945 et de la norme professionnelle relative aux activités commerciales et aux actes d’intermédiaire adoptée par le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables et agréée par arrêté du 12 mars 2021.»
Le 19 janvier 2023, le Rapporteur général adressait son rapport final à la Formation restreinte du H3C. Par décision du 25 mai 2023, la formation restreinte du H3C décidait de surseoir à statuer dans l’attente du positionnement de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur les questions préjudicielles relatives à la conformité du droit national avec le droit européen concernant l’interdiction des activités commerciales telle que prévue par l’article susvisé.
En septembre 2024, considérant que la Formation restreinte avait des fonctions administratives et non-juridictionnelles, la CJUE jugeait que les questions préjudicielles de celle-ci étaient irrecevables.
➢ Audience du 20 mai 2025
Pour Madame la Présidente de la H2A, la restriction était justifiée, au regard du droit européen, en ce qu’elle vise à garantir le respect des règles de déontologie propres à la profession de commissaire aux comptes et que celles-ci visent à garantir l’impartialité de ces derniers dans l’exercice de leur activité professionnelle. A contrario, les opérations commerciales ne sont soumises à aucune règle déontologique.
De son côté, Monsieur Latouche a soutenu que la législation française, en interdisant de manière générale toute activité commerciale, était contraire à la directive 2006/123/CE dite « directive services », qui impose que toute restriction à la liberté d’établissement soit proportionnée et justifiée par un objectif d’intérêt général. La défense a également fait valoir que l’autonomie structurelle et juridique des filiales d’audit du groupe assurait le respect de l’indépendance dans les missions de certification.
➢ Motivation de la décision
- La prohibition prévue par l’article L. 821-27 du Code de commerce (ex. L822-10) constitue une interdiction générale et absolue, applicable même si l’activité commerciale n’a aucun lien avec l’entité auditée ;
- Cette restriction va au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité du commissaire aux comptes (CJUE, 12 juin 2014, C-156/13, Digibel) ;
- Aucun manquement concret aux règles déontologiques ni atteinte effective à l’indépendance du commissaire aux comptes n’était établi dans le cas d’espèce.
➢ En conclusion
Cette décision revient sur une interdiction qui était absolue pour les commissaires aux comptes, sous réserve d’atténuations lorsque le CAC était par ailleurs expert-comptable selon l’avis du H3C n°2021-01 du 17 mai 2021.
Enfin, nous noterons que, le même jour, pour des faits différents mais relatifs à des griefs similaires, la Commission des sanctions a rendu une décision mettant hors de cause un autre commissaire aux comptes selon le même raisonnement.
La décision du 11 septembre 2025* souligne l’importance du contrôle de proportionnalité en matière de restrictions professionnelles. L’indépendance et l’impartialité demeurent des principes cardinaux de la profession, mais les incompatibilités prévues par le droit interne doivent être interprétées à la lumière des exigences européennes.
Pour la Commission des sanctions, les commissaires aux comptes seraient donc libres d’exercer une activité commerciale dès lors qu’ils respectent les exigences d’indépendance et d’impartialité attachées à l’exercice de leur profession.
*Cette décision n'est pas encore définitive et reste susceptible d'un recours devant le Conseil d’État.