La Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) a publié un communiqué destiné à préciser les conséquences du règlement Autorité des Normes Comptables (ANC) n°2022-06 relatif à la modernisation des états financiers sur les rapports établis par le commissaire aux comptes.
Ce règlement, publié le 4 novembre 2022, s’inscrit dans une démarche de refonte structurelle du plan comptable général afin de renforcer la lisibilité, la comparabilité et la cohérence des états financiers des entités établissant leurs comptes selon le référentiel comptable français.
Ce texte emporte des conséquences directes sur la nature des informations présentées dans les états financiers, leur structuration, ainsi que sur les diligences du commissaire aux comptes dans le cadre de sa mission d’audit légal. Il est donc essentiel pour la profession de bien appréhender les implications concrètes de cette réforme, tant en matière de traitement comptable que de contenu et de formulation du rapport du commissaire aux comptes.
Cadre réglementaire et champ d’application
Le règlement ANC n°2022-06 modifie le règlement ANC n°2014-03 relatif au plan comptable général (PCG). Il introduit notamment :
• Une nouvelle définition du résultat exceptionnel ;
• La suppression de la technique de transfert de charges
• Une refonte de la nomenclature des comptes ;
• L’introduction de modèles obligatoires de bilan et de compte de résultat ;
• L’instauration de tableaux normés dans l’annexe.
L’entrée en vigueur est fixée aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2025, avec possibilité d’application anticipée dès la publication au Journal officiel le 30 décembre 2023. Le règlement s’applique de manière prospective : les comptes antérieurs ne doivent pas être retraités, mais des reclassements peuvent être requis pour assurer la comparabilité des présentations entre les exercices.
Par coordination, le règlement ANC n°2023-03 est venu adapter plusieurs règlements sectoriels à cette nouvelle présentation (banques, logements sociaux, CSE, associations, etc.), mais le règlement ANC n°2022-06 ne modifie pas en tant que telles les dispositions relatives aux comptes consolidés (ANC n°2020-01). Toutefois, ce dernier prévoit, à l’article 271-2, que les méthodes comptables applicables aux comptes consolidés s’inspirent des règles des comptes individuels, ce qui rend l’articulation des deux textes essentiels.
Rappel doctrinal : un changement de méthode comptable
Selon l’article 122-1 du PCG, l’application d’un nouveau règlement constitue un changement de méthode comptable imposé, ne nécessitant pas de justification par l’entité. Cependant, l’article 831-3 du PCG impose la mention en annexe de l’impact du changement, lorsqu’il est appliqué de manière prospective, sur les principaux postes concernés, sauf impossibilité.
La note d'information (NI) de la CNCC – « Le commissaire aux comptes et les changements comptables » (§ 3.411 e) – rappelle que même lorsqu’un changement de méthode porte uniquement sur la présentation, il s’agit d’un changement à prendre en compte au titre des diligences de l’auditeur légal. Cela rejoint la définition posée par l’article L. 123-17 du Code de commerce, qui encadre strictement les modifications dans la structure et les méthodes comptables d’un exercice à l’autre.
Incidences sur le rapport du commissaire aux comptes
Les incidences sur le rapport d’audit sont analysées selon deux dimensions : le paragraphe d’observation et, le cas échéant, la justification des appréciations dans le cadre de la NEP 702 (ou "points clés de l’audit" pour les Entités d'intérêt public ou "EIP" dans le cadre de la NEP 701).
Dès lors que l’application du règlement ANC n°2022-06 constitue un changement de méthode, la NEP 730 invite le commissaire aux comptes à attirer l’attention des lecteurs du rapport sur ce changement, sous forme d’une observation, dès lors que le traitement comptable et les informations présentées sont jugés appropriés. Cette mention s’impose même en l’absence d’effet significatif sur les comptes.
La CNCC recommande une formulation standard du type :
« Sans remettre en cause l’opinion exprimée ci-dessus, nous attirons votre attention sur les incidences de la première application du règlement ANC n°2022-06 exposées dans l’annexe des comptes annuels. »
Cette formulation peut être reprise :
• Dans les rapports sur les comptes annuels ;
• Dans ceux sur les comptes consolidés, s’ils sont établis selon le référentiel français ;
• Et dans les rapports d’examen limité sur comptes intermédiaires, le cas échéant.
Le commissaire aux comptes peut également choisir de justifier ses appréciations sur les travaux réalisés dans le cadre du changement de méthode, notamment sur :
• Les reclassements opérés pour assurer la comparabilité avec les états financiers N-1 ;
• La cohérence des nouvelles présentations avec les exigences réglementaires ;
• L’exhaustivité et la clarté des informations fournies dans l’annexe.
Ce choix d’introduire une justification dépend de l’analyse des risques d’anomalies significatives et de l’importance du changement dans le contexte de la mission.
Non-application du règlement : conséquences sur l’opinion
La CNCC insiste, dans son communiqué, sur les incidences liées à la non-application du règlement ANC n°2022-06 :
• Si l’impact est significatif ou potentiellement significatif, cela constitue une irrégularité comptable entraînant une réserve pour désaccord.
• Si cette irrégularité affecte la fiabilité d’ensemble des comptes, elle peut justifier un refus de certifier, conformément à la NEP 700.
• Même en l’absence de retraitement, il ne peut être simplement indiqué que le règlement n’a pas été appliqué « sans incidence » : l’entité doit justifier cette affirmation, et le commissaire aux comptes doit en valider la pertinence, en fonction de ses travaux diligences et de sa connaissance de l’entreprise.
À l’inverse, si l’analyse du dossier permet de conclure à l’absence d’effet significatif du changement, et que l’information en annexe est jugée adéquate, aucune réserve n’est à formuler.
Ce communiqué de la CNCC apporte donc un cadre pour l’analyse des effets du règlement ANC n°2022-06, tant en matière de présentation comptable que de communication dans les rapports d’audit. Il constitue une référence utile pour harmoniser les pratiques professionnelles à l’approche des premiers exercices d’application obligatoire de cette réforme structurante.