Comme chaque mardi, la CRCC de Paris a sélectionné une thématique en lien avec l’actualité juridique de la profession. Aujourd’hui, nous vous invitons à découvrir une décision de la Cour d’appel de Dijon, commentée par le professeur Merle, qui illustre le recours possible à la désignation judiciaire d’un commissaire aux comptes à la demande d’un associé minoritaire dans une SAS non soumise à l’obligation légale de nomination.
Dans un arrêt du 3 avril 2025, la cour d’appel de Dijon apporte une illustration particulièrement argumentée de la possibilité offerte à un associé minoritaire d’une société par actions simplifiée (SAS), non soumise à l’obligation légale de nomination d’un commissaire aux comptes, de solliciter en justice une désignation sur le fondement de l’article L. 227-9-1, alinéa 3 du Code de commerce. La cour rappelle que cette mesure n’est recevable et justifiée qu’à la condition qu’elle réponde à une exigence de protection de l’intérêt social, indépendamment de toute logique de règlement de conflits interpersonnels.
Cette décision contribue de manière significative à la construction de la jurisprudence en matière de nomination judiciaire dans les SAS, en soulignant les conditions dans lesquelles l’intervention d’un commissaire aux comptes s’inscrit dans un objectif de transparence et de fiabilité de l’information financière.
Appréciation de la recevabilité et des fondements de la demande
La cour a relevé que la demande de désignation était recevable, l’associé requérant détenant bien 10 % du capital social conformément aux exigences de l’article L. 227-9-1, alinéa 3 du Code de commerce.
La juridiction d’appel s’est donc prononcée sur le bien-fondé de la demande, en retenant que le critère déterminant n’est pas la nature du conflit entre associés, mais l’existence d’éléments objectifs affectant l’intérêt social de la société.
Faits révélateurs d’un manquement à la régularité de l’information financière
La cour a relevé un ensemble d’irrégularités, parmi lesquelles :
- L’enregistrement à l’actif d’un produit incertain, correspondant à une créance espérée, non certaine, ultérieurement rejetée en justice ;
- L’absence de provision au passif, malgré l’existence de procédures judiciaires ayant abouti à des condamnations pécuniaires significatives ;
- Une augmentation disproportionnée des stocks, sans lien cohérent avec l’évolution du chiffre d’affaires ;
- Une croissance rapide de l’endettement, conjuguée à des résultats déficitaires sur deux exercices ;
- Des retards répétés dans la tenue des assemblées générales d’approbation des comptes, dont les justifications avancées étaient insuffisamment précises et non vérifiées.
Ces éléments, combinés, ont conduit la cour à estimer que la régularité et la sincérité des comptes annuels pouvaient légitimement être mises en doute, et que le recours à un commissaire aux comptes indépendant était conforme à l’intérêt social.
Portée de la décision sur l’exercice de la mission du commissaire aux comptes
Au-delà de la question de la désignation, l’arrêt apporte des précisions importantes sur le rôle et les enjeux de l’intervention du commissaire aux comptes dans le cadre d’une nomination judiciaire à l’initiative d’un minoritaire.
En premier lieu, il rappelle que le commissaire aux comptes, bien que désigné à la demande d’un associé, exerce sa mission au nom de la société et dans son intérêt exclusif. Il ne peut être l’instrument d’un associé ou d’un dirigeant ; son indépendance reste intangible, y compris lorsque sa nomination est prononcée dans un contexte de tensions actionnariales.
En second lieu, la cour insiste sur le fait que l’objectif de la mission n’est pas de trancher un conflit entre associés, mais d’assurer la fiabilité de l’information financière mise à disposition de l’ensemble des parties prenantes. La certification des comptes constitue, dans ce contexte, une mesure de nature à restaurer la transparence, à rétablir la confiance et à prévenir d’éventuelles dissimulations ou imprécisions préjudiciables à la société.
L’arrêt rappelle, s’il en était besoin, le rôle de gardien de la sincérité de l’information financière confié au commissaire aux comptes par le législateur, y compris dans les entités n’ayant pas l’obligation légale d’y recourir.